Emmanuel Cotsoyannis a fondé Miarakap en 2017, avec l’accompagnement d’Investisseurs & Partenaires, dans le but de créer des dizaines de milliers d’emplois et ancrer la culture de l’entreprenariat sur l’île où il a grandi.

Propos recueillis par Liva Rakotondrasata

Le « serial investisseur » que l’on connait aujourd’hui est un enfant de Fianarantsoa, une province vinicole du moyen-sud de Madagascar. Le fils d’un Grec-Malgache dont la famille est établie sur l’île depuis les années 1890. Sa mère est venue rejoindre son père à Madagascar et la famille Cotsoyannis a quitté Antananarivo au début des années 1960 pour s’installer dans la région Betsileo pour ouvrir l’Hôtel des Voyageurs, l’un des tous premiers établissements d’hébergement de Fianarantsoa, qui deviendra l’Hôtel Cotsoyannis dans les années 1980.
Le jeune Cotsoyannis sera scolarisé à Fianarantsoa avant de partir pour Antananarivo pour y poursuivre ses études. Après le lycée, il s’envole pour la France pour intégrer l’EDHEC Business School de Lille. Il décrochera également un master en Economie de l’Institut d’études politiques de Paris. Il débute sa carrière professionnelle comme consultant en stratégie et en management orienté finance pour Equinox Consulting, puis chez Stanwell Consulting.
En 2008, il se lance dans le grand bain de l’entreprenariat en mettant en orbite une entreprise spécialisée dans la restauration à domicile : « Les Dîners d’Eloise ». Il envoie des cuisiniers faire des repas chez les gens et la mayonnaise n’a pas tardé à prendre. « On a été les premiers en France sur ce créneau et on a été leader sur le marché », précise-t-il. L’affaire sera vendue plus tard à un groupe plus intégré déjà bien implanté dans le secteur de la restauration, notamment l’activité de traiteur événementiel et de réception. Mais, tout en restant actionnaire minoritaire, il prendra aussi la direction générale du nouvel ensemble.
En 2016, il décide de céder ses parts dans le groupe et prend l’option de revenir à Madagascar. Il reste intimement convaincu que seules les entreprises peuvent créer de la richesse, innover, créer des impacts, et donc de mettre son pays sur les rails de l’émergence. « En Europe, les PME créent plus de 80% des emplois », rappelle-t-il pour justifier son point de vue. Ainsi, en 2017, il lance Miarakap dans la Grande Ile. Une solution de financement local en direction des PME et des start-ups à fort potentiel de croissance. A Madagascar, il décroche un statut de pionnier si dans d’autres cieux, les firmes de capital-investissement ciblant les jeunes entreprises innovantes étaient déjà nombreuses.

Déjà entre 5000 et 10000 familles bénéficiaires.

Cet entrepreneur dans l’âme affirme avoir vécu des challenges en France qui ne sont pas les mêmes qu’à Madagascar. Pour lui, si en Europe le principal enjeu tourne autour de la concurrence, ce qui exige entre autres une certaine capacité de démarcation en matière de communication, dans la Grande Ile, la réalité est tout autre. Il s’agit notamment de pouvoir offrir des produits et des services de qualité en lien avec la disponibilité des compétences. « Assez rapidement je me suis dit, il faut qu’on arrive à accompagner les entrepreneurs malgaches à avoir plus de ressources, financières et humaines, pour développer leurs entreprises. C’est pour cela que je suis rentré il y a quatre ans ».
Madagascar représente pour le fondateur de Miarakap un pan important de sa culture. C’est le pays où vit sa famille, où il a été forgé. Il se souvient encore avec une certaine nostalgie des années passées dans le petit collège de Fianarantsoa. Certes, il vit aujourd’hui à Antananarivo mais se sent comme « un Malgache de brousse » qui a passé pas mal de temps dans des contrées éloignées comme l’Andringitra où ses parents avaient implanté le Camp Catta, devenu un endroit écotouristique de référence dans le pays. Il aime bien aussi passer ses moments de loisir à Salary Bay, dans le Sud-Ouest de Madagascar. « Je suis bien avec la population rurale, dans les villages », confie-t-il.
Aujourd’hui, Miarakap a financé une quinzaine d’entreprises pour un montant de 10 milliards d’ariary (environ 2,3 millions € NDLR) pour un portefeuille qui totalise près d’un millier d’emplois. Ce qui équivaut entre 5000 et 10000 familles bénéficiaires. Parmi elles, il y a des entreprises comme HaiRun Technology qui emploie presque 200 personnes très qualifiées. « Bien sûr, c’est une goutte d’eau quand on sait qu’il faudrait créer 10 millions d’emplois à Madagascar et que nous nous ne sommes pour l’instant qu’à 1000. Mais notre ambition est très importante en visant à créer des centaines voire des milliers d’emplois chaque année, d’épauler les porteurs de projets, de les convaincre que c’est possible de réussir ».
De la grande distribution en ligne (supermarché.mg) à la transformation du manioc dans le Sud de Madagascar (Malakass) en passant par l’exploitation du moringa oleifera (Moringa Wave), le portefeuille de Miarakap est bien diversifié. « On essaie de montrer les entrepreneurs sous leur meilleur angle. Ce qui n’est pas toujours facile, surtout que nous sommes très transparents dans notre manière de gérer le véhicule d’investissement et de traiter les dossiers des entreprises à accompagner », précise Emmanuel Cotsoyannis.

Pousser les entreprises à se formaliser

Au moment du début de la crise Covid, Miarakap a financé cinq entreprises. Ce qui se conforme à son objectif initial. Ces sociétés ont su démontrer qu’elles pouvaient faire de la croissance. « A remarquer que les entreprises à Madagascar, quand elles décident d’intégrer le secteur formel, doivent faire face à différentes contraintes comme le poids des charges sociales, les impôts, qui peuvent impacter significativement sur leur fonctionnement. Elles peuvent devoir augmenter leurs prix ou aller à la recherche de nouveaux financements pour assurer leur survie », constate le créateur des Diners d’Eloise. « Et nous, pour notre part, nous avons déployé nos efforts pour persuader les entreprises qu’il y a intérêt à se formaliser tout en restant rentable. Cela rend peut rendre vulnérable transitoirement vis-à-vis des acteurs sur le marché mais, sur le long terme, c’est un pari gagnant car les entreprises sont mieux structurées, peuvent accéder à des ressources et ne sont plus seules puisqu’elles évoluent avec des partenaires ».
Du fait de la crise pandémique, les entreprises ont pris des chocs. Emmanuel Cotsoyannis regrette un peu d’ailleurs que le soutien apporté aux entreprises n’ait pas été fait de manière plus volontariste en allant au-delà des mesures de report. « Les sociétés de notre portefeuille ont souffert mais ont tenu bon. Une entreprise sur cinq a eu besoin d’appui financier, les autres ont eu besoin essentiellement d’accompagnement opérationnel. Raison pour laquelle nous avons choisi de suspendre nos activités d’investissement pour se concentrer sur la protection des entreprises ».
Pendant les deux ans de « pause », Miarakap a aussi commencé à engager des discussions avec les bailleurs de fonds pour trouver d’autres outils de financement pour les entrepreneurs en intégrant des éléments comme la protection de l’environnement. « C’est à cette période que nous avons discuté avec le gouvernement des Etats-Unis, à travers l’USAID, pour concevoir, mettre en place et gérer un dispositif extrêmement innovant, baptisé Mitsiry, qui permettra de financer une trentaine de PME et de start-ups dont les activités apportent des impacts positifs sur les communautés locales et la biodiversité à Madagascar », poursuit-il. Le résultat est maintenant là avec le programme qui a démarré au mois d’avril dernier et qui a déjà financé des sociétés comme Sahanala (agriculture), Jiro-Ve (énergie verte), Vatel Madagascar (formation en hôtellerie et restauration) ou Ilanga Nature (miel bio).
Du côté de Miarakap, les neufs derniers mois ont aussi été très actifs. Notons en particulier l’arrivée dans le portefeuille de l’investisseur de Valala Farms qui élève des grillons pour alimenter le secteur de l’élevage dans le pays et qui dispose d’une solide équipe de scientifiques. « Je pense que l’on va beaucoup entendre parler de cette entreprise dans les mois et années à venir. Sans oublier le bien-être, à travers Stephaina Beauty, ou encore les cantines d’entreprise avec Le Complexe ».

« La Grande Ile doit pouvoir surfer sur une forte dynamique »

Interrogé sur les projets de Miarakap, Emmanuel Cotsoyannis insiste sur le message selon lequel il n’y aura pas de développement économique sans des milliers d’entrepreneurs en plus à Madagascar. « A remarquer que l’écosystème entreprenariat malgache s’est développé d’une manière extraordinaire ces 5 dernières années. On sent bien que dans la stratégie d’émergence actuelle, il y a une volonté d’épauler les entrepreneurs. C’est bien mais il faut faire plus. On veut contribuer à mettre l’entreprenariat au cœur de l’agenda ».
Pour Miarakap, le but est de devenir un acteur majeur sur l’échiquier national à travers ses trois métiers que sont le financement, l’accompagnement et la promotion de l’entreprenariat. Pour cela, la société de capital-investissement compte multiplier ses ressources au moins par dix. Aujourd’hui Miarakap gère près de 50 milliards d’ariary de financement (un milliard vaut environ 231000 € NDLR au 1er juillet). Sur ce montant, 10 milliards sont dédiés aux investissements en capital. Ce qui explique son initiative actuelle d’opérer une levée de fonds auprès de banques, des grandes entreprises locales et des investisseurs internationaux. « Notre défi est de pouvoir investir 50 milliards d’ariary en capital. Sur le second volet, qui est le financement public avec l’USAID, nous gérons déjà 50 milliards d’ariary. Nous n’avons pas besoin de plus d’argent. Notre ambition c’est de bien gérer le fonds, de bien investir et surtout de bien accompagner les entreprises bénéficiaires ». Ce qui a le mérite d’être clair.
Enfin, pour la promotion, Miarakap soutient travailler pour capitaliser sur ce qu’elle a pu réaliser jusqu’ici. C’est d’ailleurs l’importance donnée à la publication dernièrement de son document de rapport d’impact. Pour rappel, la société travaille depuis son lancement avec le groupe Investisseurs & Partenaires (I&P) qui dispose d’une empreinte géographique importante sur le continent africain. Selon Emmanuel Cotsoyannis, la dynamique de l’entreprenariat et du financement en Afrique est largement entamée. Actuellement, le marché annuel des investissements dans les start-ups en Afrique c’est plus de 5 milliards de dollars. Là-dessus, pour Madagascar, c’est 200 000 dollars dont une grande partie est représentée par Miarakap. Il est donc temps de passer à une nouvelle échelle. « La Grande Ile doit pouvoir surfer sur une forte dynamique comme l’on peut voir dans d’autres pays comme le Ghana, le Kenya, le Sénégal ou le Nigéria », soutient-il avant de lancer que la Grande Ile a une carte à jouer en mettant en avant ses richesses culturelles. « Madagascar a une culture spécifique, des valeurs qui transcendent comme le Fihavanana*. Cela peut être une opportunité de choix dans l’entrepreneriat comme nous le faisons déjà dans le crédit solidaire en milieu rural ».
A ses yeux, Madagascar doit pouvoir compter sur ses forces. « Nos faiblesses, on les connait. On est loin des grandes places financières internationales, la logistique est encore défaillante, le cadre général des affaires reste encore assez faible. Mais il faut être en mesure de dépasser ces handicaps. La solidarité est une force. Il faut aussi travailler sur le fait que les Malgaches deviennent des entrepreneurs par nécessité puisqu’il n’existe pas suffisamment d’emplois disponibles. C’est une occasion à saisir en transformant les entrepreneurs par obligation en des porteurs de projets par conviction ».

* Le fihavanana est une forme ancienne de lien social valorisé dans la culture de Madagascar qui s’apparente à l’entraide et à la solidarité. Une valeur qui se perd notamment en milieu urbain.