Ayant assisté à un des ateliers sur l’innovation animé par Pierre-Louis Desprez* à l’initiative du label Made in Moris pour ses adhérents, le journal des Archipels l’a interrogé en ces termes : Dans votre discours, il semble que vous prôniez une innovation qui réponde presque systématiquement aux enjeux de l’adaptation au changement climatique. Êtes-vous de ceux qui pensent que la décroissance est inévitable et il vaut mieux y être préparé ?  En d’autres mots, comment abordez-vous avec les entreprises cet équilibre fragile à trouver entre conscience écologique et l’impératif de la création de richesse ? 

 Texte et photographie : Alexandre Karghoo.

Pierre-Louis Desprez : Nous vivons sur une planète aux ressources naturelles, par définition, limitées et n’importe quelle activité économique, comme envoyer cet email, a besoin du pétrole et émet des gaz à effets de serre (GES). Dans ce contexte contraint, innover prend tout son sens : innover c’est trouver une solution lorsqu’on est face à une contradiction entre deux éléments opposés. Par exemple se développer au plan international et en même temps réduire les GES au niveau de l’activité de sa propre entreprise. C’est là que la créativité joue pleinement son rôle : pour résoudre la contradiction, il faut penser autrement. Sinon, on reproduit le passé comme un hamster qui tourne dans sa roue. Conclusion : croître sans dégrader encore plus l’environnement, c’est possible.

« Ce tourisme a détruit ce qu’était l’île Maurice il y a 30 ans »

 Les clients attendent ces nouvelles attitudes : ils plébiscitent partout dans le monde les innovations qui résolvent les contradictions, non pas par vertu morale, mais par intérêt personnel : sous l’effet du réchauffement climatique, personne n’a envie de manquer d’eau à cause des périodes de sécheresse qui s’intensifient. Si la température augmente réellement de +4° d’ici la fin du siècle, 40% de l’humidité des sols et des nappes phréatiques disparaîtra, menaçant tout l’écosystème dont nous faisons partie, c’est-à-dire nos vies personnelles. Ainsi, la croissance sobre doit devenir le nouvel enjeu des entrepreneurs s’ils veulent protéger leur propre vie. Quand on fait le tour de Grand-Baie à Maurice, on voit les résidences de tourisme et les hôtels côte-à-côte. Non seulement ce tourisme a détruit ce qu’était l’île Maurice il y a 30 ans (un petit joyau dans l’Océan Indien), mais en plus cette industrie non diversifiée a créé sa propre fragilité. C’est un exemple de croissance aveugle et destructrice qui s’est répandue un peu partout dans le monde.
Un innovateur aujourd’hui doit se demander comment éviter ce désastre environnemental. Il y aura une prime pour les innovateurs ingénieux qui s’attaqueront courageusement à résoudre l’équation croissance / diminution drastique des effets négatifs de la croissance. Les entreprises qui ne seront pas préparées, en se disant « cela durera bien autant que moi », péricliteront en un temps record. Nous verrons un jour Grand Baie désertée par les touristes, des hôtels vides, un manque de personnel pire que celui d’aujourd’hui. Il suffirait que les États se mettent à voter des taxes carbone au départ de l’Europe et des États-Unis, par exemple, pour que le prix du billet d’avion passe de 1000 dollars à 10 000 dollars ou 20 000 dollars, ce qui permettrait de nettoyer la pollution dans l’air et dans la mer occasionnée par l’avion. Le tourisme s’effondrerait immédiatement. Raison pour laquelle nous avons un intérêt objectif à combiner croissance de la valeur (et non pas en volume) et sobriété, prise en compte des facteurs liés aux ressources naturelles et à la consommation d’hydrocarbures.

« Je suis très optimiste »

Dans ce contexte à très haut risque pour toutes les économies du monde sans exception, je suis très optimiste, car les humains n’ont pas le choix de penser et faire autrement s’ils veulent protéger, voire augmenter leur qualité de vie. Et je ne connais personne qui serait prêt à la laisser se dégrader volontairement. Voilà pourquoi j’aide le plus possible d’entreprises à penser autrement les contradictions auxquelles elles sont confrontées. Vive l’innovation — mais la vraie, celle qui est liée au progrès et non pas à la recherche du profit aveugle. La quantité de pluie et la qualité de l’air que nous respirons ne seront pas liées à l’état de notre compte en banque, mais dépendront de notre intelligence. Opérationnellement, la conséquence est simple : toute entreprise qui veut ou doit innover n’a pas le choix de faire entrer dans son équation économique les facteurs environnementaux. Que les meilleures gagnent et inspirent les autres !

* Normalien, Pierre-Louis Desprez est consultant spécialiste de l’innovation, directeur général associé de Kaos consulting, spécialiste de l’innovation « de l’idée jusqu’aux clients » et des stratégies de marque.