Le 3 novembre dernier, le Charles Telfair Centre, reconnu comme une plateforme indépendante dédiée au partage de connaissances, a organisé, avec le soutien d’Alain Gordon-Gentil, écrivain, documentariste et journaliste, une conférence-débat dans le cadre des 250 ans de la presse mauricienne sur le campus de Charles Telfair Education. En partenariat avec la MTPA, Ninety-Six Hotel Collection et la MCB, l’événement, intitulé “Presse et Pouvoir”, a réuni des experts locaux et internationaux pour discuter de l’avenir des médias dans un monde en pleine mutation.

Dans sa présentation, l’invité d’honneur, le journaliste français de renom, M. Patrick Cohen, a partagé devant quelques 120 invités présents, sur l’évolution du journalisme à l’ère d’Internet rappelant l’époque où les journalistes avaient le monopole de l’information : « Cette matière brute, nous étions seuls à en disposer. » Il évoque avec émotion mais sans regret le temps où le journalisme était une « fonction sociale importante. »  Face à la « formidable démocratisation » de l’information apportée par la révolution numérique, il reconnaît une « terrible perte de pouvoir » pour les professionnels du secteur. La participation du citoyen dans la diffusion de l’information a renversé la verticalité traditionnelle, rendant la situation plus horizontale et décentralisée.

Le danger des réseaux sociaux et de la course aux clics.

Il souligne les défis posés par l’éclatement de l’information affirmant l’importance de promouvoir un journalisme de qualité : « […] Nous assistons à un éclatement de l’information qui soulève des défis démocratiques majeurs. » Il insiste sur la nécessité de combattre la désinformation avec « la transparence, la rigueur et la certification. »
Abordant la question complexe des réseaux sociaux et de la course aux clics, M. Cohen a défendu l’intégrité journalistique face à la pression de l’audience. Il a déclaré que le fact-checking est devenu « une obligation » pour rétablir la vérité et répondre aux attentes du public.
Enfin, sur la concentration des médias M. Cohen fait un appel à la législation pour garantir la diversité et l’indépendance des voix médiatiques : « […] Nous devons veiller à ce que la concentration économique des médias ne nuise pas à la pluralité des voix. »
La conférence a également accueilli un panel d’experts, modéré par Mylène Biquette, Lecturer en Culture et Media à Curtin Mauritius. Christina Chan-Meetoo, Senior Lecturer en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Maurice et Jean-Luc Emile, Managing Editor du Défi Media group ont rejoint Patrick Cohen afin de partager leur expertise sur le contexte local.
Jean-Luc Emile a mis en lumière les tensions persistantes entre la presse et le pouvoir politique à Maurice, notant les défis de la censure : « le journalisme a toujours vécu des tensions avec la censure dans les années 70 à Maurice. Le monde politique mauricien perçoit le journaliste comme un opposant et se trompe d’adversaire et lui fait donc pression, parfois de manière forte. »
Les panelistes ont réitéré l’importance cruciale de la presse en tant qu’acteur démocratique et la nécessité d’un travail responsable et de qualité dans les rédactions.

Vers un conseil de la presse à Maurice ?

Commentant le modèle économique précaire des médias, Christina Chan-Meetoo a souligné que la dépendance aux revenus publicitaires pouvait aussi parfois mener à une autocensure.  Elle ajoute le manque de vocations comme défi supplémentaire : « nos meilleurs étudiants ne veulent pas devenir journalistes, entre les pressions politiques, les conditions de travail précaires, les traitements dans les rédactions et les salaires, beaucoup préfèrent choisir le secteur de la Communication ». Elle a aussi rappelé les trois principales recommandations de Geoffrey Robertson dans son draft reportsoumis en 2013. Celles-ci concernaient un toilettage du cadre législatif pour les médias mauriciens, l’introduction d’une loi sur l’accès à l’information et d’un organisme de co-régulation de la presse.
Face aux défis du secteur, M. Cohen a mis en avant le besoin impérieux de repenser le métier de journaliste tout en préservant sa déontologie. Il a souligné que les journalistes doivent se doter de compétences plus pointues et précises.
En conclusion, un débat avec le public s’est centré sur la nécessité d’établir un conseil de la presse à Maurice pour mieux réguler la déontologie journalistique, reflétant un engagement collectif en faveur d’un journalisme rigoureux et éthique.