Suite de notre enquête sur les « fady » (tabous et interdits) dans la Grande Ile :
À Madagascar, les tabous peuvent protéger ou nuire à l’environnement

https://www.lejournaldesarchipels.com/2022/09/05/madagascar-les-tabous-peuvent-proteger-ou-nuire-a-lenvironnement/

Par Valisoa Rasolofomboahangy
Photographie : Un hibou (Asio madagascariensis) juvenile. Cette espèce est chassée car elle est considérée comme porteur de mauvais esprits. Image de Frank Vassen

Objectivement, le respect des fady repose sur la crainte d’être pénalisé par la société. Beaucoup de facteurs peuvent amener un individu à ne pas les respecter. « Les fady ne sont pas figés dans le temps et dans l’espace. Puisqu’ils sont instaurés par la communauté, cette dernière a ainsi le pouvoir de les lever. » dit Randriamaniraka.

Il suffirait d’obtenir le consentement de la communauté et de réaliser les rituels afférents, pour passer outre un fady. De plus, « les sensibilisations pour la protection de l’environnement ne marcheront pas tant que la population reste pauvre. La logique d’un malgache lambda serait : mon enfant a faim, je vais tuer ce lémurien ! » dit Randriamaniraka. Les enjeux de la conservation sont d’ordre économique.

Un individu peut être amené à désobéir à un fady car sa survie en dépend. « S’il y a un fady qui interdit la collecte des écrevisses pour les vendre, si quelqu’un n’a pas d’autres options (un [sic] femme sans mari, sans terre par exemple) elle pourrait peut-être le faire. » dit Neal Hockley, spécialiste en économie et politiques de conservation de l’environnement à l’Université de Bangor, au Royaume-Uni, et l’un des co-auteurs de l’étude de 2008.

Enfin, l’utilisation d’un fady dans une communauté fait appel au respect des ancêtres mais sert aussi de mode de gestion des ressources locales.

Selon l’étude coécrite par Hockley, certains conservationistes ont suggéré “que le fady avec des résultats de conservation positifs devrait être renforcé pour atteindre les objectifs de conservation”. Ils ont aussi réfuté cette idée car les fadys sont rarement reconnus et applicables aux objectifs stricts des organismes de conservation de l’environnement. Une synergie entre institutions coutumières et conversationnistes pourrait, selon Hockley, amener une gestion plus efficace de la protection de l’environnement.

« Malheureusement, je pense que parfois, les institutions de la conservation risquent [sic] de saper les institutions locales, en privant les communautés de leurs droits coutumiers sur les ressources naturelles. » dit-il.

Dans le contexte actuel, la croissance démographique, associée à un taux de pauvreté plus élevé sur Madagascar, tend à augmenter les pressions sur les forêts et leurs habitants. D’après Global Forest Watch, Madagascar a perdu 3,89 millions de hectares (9,6 millions d’acres) de couverture forestière entre 2001 et 2019, soit une réduction de 23% depuis l’an 2000. La situation actuelle liée à la pandémie de COVID-19 a fait grimper la pauvreté, réduire la surveillance des aires protégées et a impacté les champs d’action des protecteurs de l’environnement.

Malgré l’importance des fady dans la culture malgache, la montée de la pauvreté peut inciter la population à se détourner des traditions ancestrales pour se tourner vers toutes les ressources disponibles. Jean Toa Soa, guide touristique à l’Arboretum d’Antsokay, est témoin de cet éloignement et rapporte ce qu’il a vu autour d’Andatabo, une colline dans l’aire protégée Tsijoriake au sud-ouest de Madagascar.

« Il y a des lieux fady à Andatabo, mais ce n’est plus comme avant, » dit-il.  « Très peu de gens les respectent et coupent du bois pour du charbon. On ne sait plus si c’est à cause de l’ère moderne ou bien de la pauvreté. »

Citation : JONES, J. P., ANDRIAMAROVOLOLONA, M. M., & HOCKLEY, N. (2008). The importance of taboos and social norms to conservation in MadagascarConservation Biology22(4), 976-986. doi:10.1111/j.1523-1739.2008.00970.