Le groupe familial Rose-Hill Transport (RHT) est connu pour sa compagnie de bus qui est une des plus anciennes de l’île. Aujourd’hui, le groupe s’est diversifié et a investi dans différents services autour de la mobilité, sans pour autant abandonner son cœur de métier historique. Pour son CEO, Sidharth Sharma, d’importantes réformes sont nécessaires pour la renaissance, voire la survie d’un système de transport public mauricien de qualité.

En médaillon : Sidharth Sharma, CEO du conglomérat RHT, est docteur en télécommunications. Il est un homme d’affaires respecté à Maurice pour son expertise et son expérience dans la mobilité.
PHOTO : Alexandre Karghoo

 « On vient de bénéficier d’une augmentation des tarifs après huit ans… dans un contexte extrêmement difficile ! », débute Sidharth Sharma, l’homme d’affaires reconnu et respecté, et docteur en télécommunications. « Nous avons eu plusieurs augmentations, notamment du carburant (plus de 40% depuis décembre dernier – ndlr).
Nous sommes dans un environnement d’hyperinflation qui tourne autour de 10 %, on sort de la pandémie et nous avons une guerre en Ukraine qui risque de perdurer », ajoute-t-il. En effet, le transport public est en souffrance depuis nombre d’années pour plusieurs raisons, notamment l’accroissement quasiment exponentiel du nombre de voitures sur les routes et le fait que les tarifs, réglementés, n’avaient pas été augmentés depuis 2014 !
Une autre donne est venue s’ajouter à l’équation depuis 2019, la mise en service du projet Metro Express qui relie à l’instant où nous mettons sous presse les villes entre Phoenix et Port-Louis, affectant considérablement les chiffres d’affaires des compagnies de bus (trop) nombreuses opérant sur cette ligne. Selon Sidharth Sharma, le projet Metro Express a fait baisser de 40% son chiffre d’affaires. Autre sujet de préoccupation pour le secteur, « il y a eu 40% de dépréciation de la roupie depuis 2014 qui a exacerbé la situation ». Cela rend difficile les importations de bus qui viennent de Chine ou d’Inde.
Dans ce contexte difficile, Sidharth Sharma propose trois catégories de solutions : le gain en efficience, la mutualisation et les énergies renouvelables. A cause du contexte économique mondial compliqué, « aujourd’hui, il faut revoir l’efficience du pays et mais aussi celle des entreprises », avance le CEO de RHT. « Dans le tourisme, on n’est pas encore à notre vitesse de croisière, et malgré les efforts, la réalité est que nos réserves sont au plus bas et on peut supposer que le gouvernement mettra beaucoup d’emphase sur la substitution aux importations pour les fruits et légumes. » Il en va de même d’une certaine mesure pour le transport public. Afin de réduire la dépendance extérieure pour les énergies et ainsi mieux maitriser les coûts, Sidharth Sharma demande à ce que des mesures incitatives soient implémentées pour faciliter l’achat de bus électriques.

Le coût d’exploitation d’un bus électrique est moins élevé qu’un thermique

RHT est une des premières entreprises à avoir acheté des bus électriques. « On a acheté deux bus électriques et on a plein d’information sur ces bus. On sait que même s’ils coutent deux fois plus cher, le coût d’exploitation (Opex) est 60 à 80% moins élevé. Mais il faut faire les choses de manière vertueuse, il ne faut pas aller puiser dans le réseau du CEB (fournisseur national d’électricité). Il faut donner des incitations pour les panneaux photovoltaïques. » Selon lui, il faut impérativement des subventions de l’État pour permettre aux compagnies d’acheter des bus électriques au même prix que les bus à moteur thermique.
L’efficience implique aussi l’investissement dans l’innovation car il est clair pour Sidharth Sharma que les métiers ne sont plus attractifs pour les jeunes. « Les jeunes ne veulent pas faire ce métier. Un travailleur arrive à quatre heures du matin et les journées sont longues. Les jeunes veulent des jobs mieux payés et on ne peut pas les blâmer. Il faut aller vers la billettique. » RHT avait développé un système de bus sans receveur mais l’a arrêté car le gouvernement avait annoncé la mise en place une billettique nationale. Cela ne s’est jamais concrétisé et reste à l’étape de projet. « Il faudra le réintroduire pour tous [toutes les compagnies de bus] », clôt-il à ce sujet.
S’agissant de la mutualisation, Sidharth Sharma parle surtout de l’approvisionnement. « En Ouganda (où le groupe RHT se développe depuis quelques années – ndlr), on voit que ça marche. L’Ouganda a imposé que les bus doivent être assemblés sur place pour pouvoir les opérer. » Selon notre interlocuteur, la demande nationale est de 140 bus par an. Certaines entreprises internationales ont montré qu’il est possible d’avoir de petites unités d’assemblages pour satisfaire une telle demande annuelle. Par exemple, la compagnie britannique Arrival a récemment levé des millions de dollars aux États-Unis pour son expansion. Même si assembler les bus ici peut sembler compliqué, il faudrait, au moins, mutualiser l’achat des autobus ; des économies conséquentes peuvent ainsi être réalisées non seulement dans l’approvisionnement mais aussi et surtout la maintenance de la flotte d’autobus.

Le métro n’existe de lui-même nulle part au monde

Une autre nécessité, selon Sidharth Sharma est la refonte du transport public qui doit se penser comme un tout. « Il faut prendre le taureau par les cornes. » Sidharth Sharma reconnait que le projet Metro Express est un beau projet qui dirige le pays dans une bonne direction. Mais il est primordial selon lui que le projet soit « soutenable » rapidement. « Le métro n’existe de lui-même nulle part au monde. » Une suggestion est de diviser le transport public en trois catégories : les longs trajets qui font 20 à 30 km (ou 50 km si les rails traversaient le pays du Nord au Sud), ensuite les bus, « électriques », qui feraient des trajets d’une douzaine de kilomètres et finalement, la micro mobilité pour les trajets d’environ un kilomètre, en trottinette ou à vélo, « au lieu d’aller faire la compétition chacun sur les mêmes routes. Entre Rose-Hill et Port-Louis, il y a quatre opérateurs ! C’est un jeu à somme nulle. Il faut donner à chacun son espace. Je comprends les régulateurs et ma suggestion est de donner un cahier de charges attaché aux subventions ».
De manière contrintuitive, Sidharth Sharma ne propose pas qu’on limite le nombre de voitures sur les routes. « L’achat d’une voiture n’est pas un problème. C’est l’usage. Et malgré les autoponts (construits depuis quelques années par le gouvernement – ndlr), les embouteillages ne s’arrêtent pas. » Ainsi, il suggère même de baisser les taxes sur les véhicules à certaines conditions, notamment la nécessité d’avoir un garage, que la voiture ne soit pas un deuxième véhicule pour un usage personnel et surtout que la taxe soit déterminée par l’usage qui sera fait du véhicule.
Le dernier volet des suggestions de Sidharth Sharma concerne la production d’énergie renouvelable. Investir dans la mobilité électrique ne suffit pas, encore faut-il que l’énergie soit d’une source renouvelable. Au-delà des subventions, comme le réclame la communauté des affaires mauriciennes, Sidhart Sharma pense que les conditions de rachat de l’électricité ont du mal à inciter les investissements dans le photovoltaïque car l’amortissement de l’investissement est long. Cependant RHT prévoit d’exploiter quatre arpents de terrain pour produire 100% de sa consommation. « Il y a très peu de compagnies qui pourront le faire, et c’est là que doit intervenir le gouvernement », conclut-il.

Cet entretien a été réalisé avant la présentation du budget gouvernemental début juin.
Cet article est la version longue du sujet déjà paru sur notre dernière édition du magazine.

PHOTO Carte Metro (DR)

Le Metro Express s’étendra sur 26 kilomètres pour le tracé principal et 3,4 kilomètres de plus pour connecter Réduit à Rose-Hill, et comptera 19 arrêts pour 45 minutes de trajet entre Curepipe et Port-Louis.