Les taux de croissance ou les indicateurs de pauvreté peuvent être vides de sens s’ils ne sont pas mis en perspective avec celui, bien plus pertinent de l’indice GINI.
Cet indicateur des inégalités dans chaque territoire et pays de la planète permet de relativiser beaucoup de nos idées et a priori.
C’est ce qu’ont mis en évidence les analystes Virginie Villeneuve et et Nafeesha Kinoo, nos partenaires de Analysis, affilé Kantar avec beaucoup de talent (à lire en pages 62 à 67).
On apprend ainsi, à la lecture de ces pages, que c’est l’île de La Réunion qui affiche le plus fort taux d’inégalités dans sa population, loin devant Maurice et Madagascar qui sont également traités dans cette étude !
Le département, français depuis toujours, ne peut pas argumenter de pseudos causes liées aux effets pervers d’une colonisation (comme le font, pour se dédouaner, beaucoup de pays africains). Le taux de chômage y est l’un des plus élevés de France avec quelque 18 % de sa population active touchée et l’un des plus forts taux de bénéficiaires des aides sociales (25 % de bénéficiaires du RSA). Mal développement ? Ultra dépendance de la lointaine Métropole ? (et donc manque de coopération régionale et d’économie circulaire locale)… Beaucoup de causes sont avancées sans pour autant faire l’unanimité.
Quand on a faim, peu importe l’environnement !
Aussi, pour coller à l’actualité saisonnière de l’île Bourbon, ce n’est pas pour rien que les pêcheurs de bichiques* sont sur le devant de la scène actuellement. Prenant pour prétexte la maintenance d’une tradition séculaire, ils ont entamé depuis quelques années un bras de fer avec les autorités pour continuer à exploiter ce caviar de La Réunion comme il est nommé localement. Un caviar constitué d’alevins de poissons qui fraient des rivières vers l’océan en cette fin d’hiver austral et que les pêcheurs traditionnels, regroupés désormais en coopératives, collectent dans les embouchures.
Bien que conscients de la raréfaction exponentielle de la ressource, l’appât du gain est plus fort et peu leur importe que ces alevins, souvent de l’espèce «cabot bouche ronde», n’atteindrons jamais la maturité pour se reproduire. Il faut le pêcher et le vendre illico entre 50 et 80 euros le kilo.
Mais on ferait tous pareil ! Si nous avons faim, si nos enfants ont le ventre vide, si les inégalités indiquées par GINI sont sources de stress et de colère, la pérennité d’une espèce de poisson ou encore d’une tortue ou d’un lémurien n’a plus d’importance dès lors qu’il faut nourrir sa famille.
Sans le pilier économique, les autres piliers de l’environnement et du sociétal ne pourraient supporter le Développement Durable.
Une anecdote qui nous ramène à notre magazine, porté sur l’économie circulaire, et à ce hors-série sur les ODD. Comment éviter la prédation humaine sur les ressources naturelles et sortir d’une vision à court terme, celle de la survie ou encore de la course à l’égalité à n’importe quel prix écologique ?
Le forum économique organisé par le Journal des Archipels, qui est la continuité de ce magazine hors-série, essaie à son petit niveau de mettre en relation des représentants de grands groupes locaux, TPME et ONG. L’idée est de lancer, à travers nos enquêtes et nos ateliers, des actions de partenariats entre tous ces acteurs afin que des actions soient engagées. Des actions économiques, du business disons le mot tabou pour toute une frange de partisans d’une écologie aveugle qui n’a toujours pas compris que sans le pilier de l’économie, les deux autres piliers : environnement et sociétal, ne pourraient supporter le développement durable tout simplement.
Jacques Rombi, directeur de publication
*Le bichique désigne l’alevin de deux espèces de poissons très proches, désignées couramment, une fois adulte, par les noms vernaculaire de «cabot à tête de lièvre» et surtout : «cabot bouche ronde».