L’industrie extractive amont est aujourd’hui l’un des piliers du plan Emergence Madagascar. Les investisseurs qui se sont succédés depuis les années 30 ont cru au potentiel de Madagascar. Les études sismiques conduites ont également consta l’existence de réserves en pétrole et gaz. Et la présence de British Petroleum jusqu’à l’an dernier, a abondé dans ce sens. Alors comment l’industrie extractive pourrait et devrait-elle contribuer à une croissance inclusive à Madagascar ?

Le projet le plus avancé est Madagascar Oil, au sein duquel j’ai collaboré durant 4 ans. C’est un projet tourné vers le développement de Madagascar, et dont les contours en durabilité peuvent être encadrés pour permettre d’optimiser la contribution à la croissance durable du pays.

Pour cela, des conditions doivent être réunies.

Rappelons déjà que les investisseurs pétroliers s’intéressent aujourd’hui à plusieurs pays en Afrique où les gouvernements s’évertuent vraiment à déployer des conditions optimales pour séduire et/ou retenir ces sources de revenus. La compétition n’est donc pas au niveau de Madagascar, mais sur la scène panafricaine, voire mondiale. Et Madagascar n’a pas encore vu de projet pétrolier abouti !

La compétitivité malgache doit donc s’appuyer sur un climat d’investissement favorable, un cadre fiscal et financier à la fois sécurisant et encourageant pour les potentiels investisseurs, et ce, sur les décennies à venir puisque les contrats pétroliers engagent les signataires au minimum sur 20 ans.

S’ajoute à cela, et de manière indiscutable, une bonne gouvernance indispensable à la conduite des projets car ces projets peuvent être source de dérives dramatiques (cf la guerre civile au Niger).

Si Madagascar cadre ce développement extractif dans une vraie politique de durabilité (économique, sociale et environnementale), peut en faire un vrai levier puissant et rapide de développement inclusif.

 

« La compétitivité malgache doit s’appuyer sur un climat d’investissement favorable »

Cette inclusivité repose sur quatre piliers :

1/Une inclusivité économique/politique d’abord. Avec une compréhension et une construction du secteur pétrolier “made in Madagascar” qui signifie que l’on s’appuie sur les best practices des pays pétroliers à succès (la Norvège) tout en considérant les spécificités économiques malgaches. Nous devons éviter le fameux phénomène du “dutch disease” qui consiste à négliger le développement des autres secteurs piliers clés, au risque ainsi de déséquilibrer les ressources extractives, et économiques en général, dont les contributions à l’économie malgache sont cruciales. Madagascar a sa vision en termes de développement extractif, et la clarification de cette vision doit encadrer les politiques opérationnelles par type de ressources (grandes mines, petites mines, pétrole, gaz…). Puis, l’industrie doit ensuite considérer inclusivement l’ensemble des acteurs de la filière pétrolière. Ceci nécessite une vision de l’Etat claire en termes de préparation et d’anticipation pour les ressources humaines : nous ne disposons pas de profils pétroliers pointus couvrant l’ensemble de la filière ingénierie pétrolière. A tous niveaux, les acteurs impliqués dans la filière doivent renforcer leurs compétences : quid par exemple des maires en communes rurales reculées qui vont bénéficier des redevances pétrolières. Ont-ils la formation administrative nécessaire pour gérer ces montants ? Les structures bancaires ou d’épargne existent-elles dans les villages enclavés pour permettre des retombées auprès des villageois (potentiels salariés) ?

2/ Inclusivité sociale ensuite : au-delà du volet formation et éducation, il est nécessaire de mettre en place en amont les infrastructures sociales nécessaires au développement durable des régions impliquées, voire du pays. Cette inclusivité sociale implique la considération de toutes les populations et particulièrement les populations vulnérables (illettrés, enclavés, déscolarisés, sans emploi…). Les études d’impact environnemental et social préalables doivent inclure des consultations publiques réelles et reflétant de manière pragmatique et réaliste les réalités et besoins du terrain : l’anticipation des problématiques anthropologiques liées aux déplacements de populations par exemple doit être traitée avec précautions et selon des standards à minima nationaux, voire internationaux.

 

« L‘exemple de la fondation de Norvège mise en place sur la base des ressources pétrolières exploitées aujourd’hui, est une voie intéressante »

3/Inclusivité environnementale : les ressources naturelles exploitées aujourd’hui ne doivent surtout pas compromettre les générations de demain. C’est l’essence même de la durabilité et de l’inclusivité. Et au-delà des EIES imposées par la législation qui encadre les LGIM  (Lois sur LGIM les Grands Investissements Miniers) et le décret MECIE en soi, Madagascar doit redoubler d’exigences et rester souverain dans sa politique de gestion des ressources naturelles sur le long terme. Ainsi, l’exemple de la fondation de Norvège mise en place sur la base des ressources pétrolières exploitées aujourd’hui, et ayant pour but de financer des projets nationaux et transversaux pour le bien de la Nation, assortie d’une épargne bloquée pour les générations futures, est une voie intéressante. Mais là aussi, la constitution d’un fonds souverain ancré dans les ressources extractives en général est clé pour l’autonomie financière de Madagascar, notamment pour réduire la dépendance aux fonds injectés par les partenaires techniques et financiers. Il en va de la souveraineté de la Nation.

4/Une inclusivité de l’ensemble des acteurs (public, privé, société civile, PTF, communauté internationale, presse…) doit s’impliquer dans la construction d’une industrie nouvelle, moteur de développement pour Madagascar. La vision émane du gouvernement, et particulièrement du président de la République, bien entendu. Mais le déploiement et la construction de ce secteur nécessitent la prise de responsabilités de chaque acteur jusqu’au citoyen malgache. La presse particulièrement a un rôle clé dans la pédagogie et la capacité de dissémination des infos pertinentes pour éduquer l’ensemble des parties prenantes. L’exemple du Rwanda à ce sujet est inspirant. L’appropriation de chacune des parties prenantes de ses rôles est clé dans le succès du lancement de cette industrie. Il est temps que le citoyen malgache arrête d’attendre tout de l’Etat et se remette à travailler pour construire son propre avenir

Le développement ne pourra se faire que sur la voie de l’inclusivité et de la durabilité et Madagascar doit demeurer le principal architecte de sa vision économique, mais surtout rester le premier gagnant dans cette nouvelle voie prometteuse d’une croissance rapide et bénéfique si elle est intelligemment dirigée.

 

Une spécialiste du développement durable

Romy Voos Andrianarisoa est titulaire d’un Master of Business Administration (MBA) en développement durable (CSR & Sustainability/Royaume Uni), d’un Master en Commerce International (France), du diplôme des grandes écoles de Commerce en Marketing et Communication (France) et d’un Master of Art in Diplomacy du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS ). Actuellement présidente de la commission développement durable et Éthique des affaires du GEM (Groupement des Entreprises de Madagascar), elle a travaillé ces dernières années dans le secteur pétrolier (CSR Manager pour Madagascar Oil, Country Manager chez BP Madagascar puis pour la CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) qui vient de reprendre l’exploration des blocs de BP dans le Canal de Mozambique.

 

 Nous l’avons interrogée sur la question que vous vous posez, cher lecteur : comment concilier pétrole et environnement ?

« J’aborde cette question en citant le cadre légal à savoir les EIES (études d’impact environnemental et social) et le décret MECIE*

Malheureusement ce sont les seuls cadres existants à Madagascar et heureusement les grands projets comme Madagascar Oil suivent les standards environnementaux internationaux largement plus exigeants que nos exigences locales. Il faut souligner justement que le GEM doit être force de proposition et d’exigences pour défendre la biodiversité nationale dans ce type de projets.

Concernant les projets de prospections of shore engagées par Bp puis par CNOOC, ils restent encore à un stade administratif et n’ont pas ou peu d’impacts environnementaux jusque là.

Cependant chaque contrat pétrolier est précédé d’étude lourde et structurante sur le volet environnemental, encadrée par des experts internationaux. »

 

Autre question qui vous tracasse, lecteur : la production de Madagascar Oil n’est toujours pas acheminée vers les centrales thermiques du pays (Jirama notamment) encore moins exportée. Comment parler alors de croissance inclusive ?

« Les premiers tests entre Symbion, Jirama et MadOil ont démarré et continuent la semaine prochaine (mi-juillet NDLR). L’Etat est en cours de signature pour un partenariat favorable à la Jirama et MadOil. Je continue à suivre de près l’évolution de l’ensemble du secteur pétrolier à Madagascar et je mets un point d’importance non négociable au volet durabilité et inclusivité  de par ma formation et mes convictions patriotes. »

*Décret du Ministère de l’environnement à Madagascar n° 99-954 du 15 décembre 1999 modifié par le décret n° 2004-167 du 03 février 2004 relatif à la mise en compatibilité des investissements avec l’environnement).