Les profils des agriculteurs sont très variés : ici Bradley Vincent, champion mauricien de natation qui a tombé le maillot pour enfiler la tenue du jardinier.

La culture traditionnelle de la canne à sucre n’est plus rentable depuis longtemps dans nos petites îles des Mascareignes. La preuve ? elle a dû sa survie ces dernières années grâce à des subventions et prix garantis sur le marché international. La mutation de cette monoculture vers des cultures vivrières plus variées (et plus rentables) peut se faire rapidement, à condition de trouver le bon business model. Cette petite révolution agricole se dessine du côté de la vallée de Ferney, au sud de l’île Maurice.

Révolution ? Le mot n’est pas trop fort car ce modèle pourrait se décliner à toutes les îles de notre grand océan Indien : prenez des propriétaires terriens à la recherche de nouveaux modèles de production, ajoutez-y une population aussi variée qu’éclectique mais animée d’une abnégation au travail et passionnée par le travail de la terre, et vous tenez enfin une des clés à notre autonomie alimentaire (et du coup, une moindre dépendance avec la mondialisation castratrice).
Concrètement, c’est l’expérience qui a commencé en septembre dernier à Ferney, sur les terres du puissant groupe Ciel, qui a choisi de transformer progressivement ses plantations cannières en productions vivrières bio. Pour Jean Marc Rivet, Estate manager à Ferney : « nous avons mis en location 34 hectares de terrains naguère plantés de canne à sucre et qui jouxtent notre ancienne usine. Ces terrains sont loués au prix du marché (soit environ 4300 roupies par hectare et par mois), mais ils ont tous accès à une alimentation en eau et en électricité. Ils sont donc très attractifs, car si de nombreuses terres sont en jachère à Maurice, rares sont celles qui peuvent être sécurisées et connectées aux réseaux électrique et hydraulique. La seule condition demandée est de produire en mode Bio ».

Créer un écosystème pour le développement de l’agriculture Bio

Mais les avantages ne s’arrêtent pas là. Le groupe Ciel, classé sixième dans le Top 500 régional de notre confrère l’Eco austral, dispose d’une crédibilité et d’une écoute auprès des institutions que n’ont pas les petits producteurs indépendants. Aussi, en se regroupant tous sous une même enseigne, ils peuvent collectivement profiter de l’interface du groupe pour accéder aux précieux sésames des financements, formations et suivis techniques.
« Nous avons engagé un vrai partenariat entre nous, les agriculteurs et les institutions qui permet par exemple de profiter d’un vrai accompagnement technique avec le ministère de l’agro-industrie, notamment le service FAREI spécialisé dans les productions non sucrières. Ils ont pu bénéficier de prêts intéressants émanant de la Devlopment Bank of Mauritius, ou encore de prix d’achat de fourniturs grâce à nos plateformes d’achat à grande échelle. »
Soulignons que le FAREI a permis de donner des formations qualifiantes à ces nouveaux agriculteurs ainsi qu’à des riverains du site, préparant ainsi à une demande de main d’oeuvre spécialisée dans la production Bio quand la phase de croissance sera soutenue.

Un incubateur de start-up agricoles « Made in Moris”

En phase 2 de l’exploitation, il s’agira pour le Ferney Agri Hub, d’obtenir le label commun « Made in Moris » grâce à un cahier des charges (Bio) commun et de s’engager sur la voie de la production Hitech : « à Maurice nous estimons avoir 10 ans de retard par rapport à des pays comme Israël ou l’Europe du Nord. C’est pourquoi nous nous sommes rapprochés du cabinet norvégien Katapult en vue de mettre en place un incubateur de projets ici. Leur représentant à Maurice, Thomas Berman travaille déjà à la levée de fonds sur le marché international pour lancer cette phase 2 » précise Olivier Lincoln, Ferney Agri-Hub Production Manager.
Des besoins en trésorerie estimés à 3 millions US$ et qui permettront de mettre dans cet incubateur 8 start-up internationales aux côtés de deux start-up mauriciennes qui seront identifiées par appel à projets liés à l’agriculture Bio.
La phase 3 serait donc celle de l’éclosion de projets Hi-tech qui pourront alors permettre plus de productivité à Maurice ou encore être exportés à l’étranger. Autant de valeur ajoutée qui serait issue du développement de cet écosystème lié à l’agriculture Bio et soutenu par les Autorités (Economic development Board, Mauritius Research innovation council, entre autres).
Ferney commence à aménager dans les locaux de l’ancienne usine sucrière, des petites et moyennes surfaces pré équipées pour accueillir les bureaux et les laboratoires de ces start up agricoles.
Au vu de l’enthousiasme et la volonté d’entreprendre de nos interlocuteurs on ne peut que penser à une phase 4 qui verrait une généralisation de cet écosystème ailleurs dans l’île et dans la région proche. A commencer par Ferney : sur le millier d’hectares dont dispose le groupe Ciel, une centaine pourrait être mis à disposition d’autres candidats à cette agriculture du futur.

Jacques Rombi