Le Secrétaire général de la COI, Vêlayoudom Marimoutou et Julien Million, spécialiste des pêches de la Banque mondiale s’expriment dans une tribune conjointe qui a pour objectif d’informer sur la gouvernance des pêches et plus particulièrement l’apport du projet COI-BM SWIOFish.

« Pendant des millénaires, il suffisait de jeter un hameçon à l’eau, un filet, ou de poser un casier pour cueillir une subsistance des mers. De tout temps, la pêche a été l’un des moyens de nourrir l’humanité sans s’inquiéter de la durabilité de la ressource puisqu’elle se régénérait sans peine. C’était le temps d’avant.
Avec l’avènement de pratiques prédatrices, parfois illégales, la demande croissante, parfois frénétique, et la détérioration des écosystèmes océaniques aggravée par le changement climatique, on ne pêche plus comme avant.
Que faire ? L’une des réponses se résume à l’adage « gouverner, c’est prévoir ». Il faut une gouvernance des océans pour assurer l’avenir de la pêche et des pêcheurs sur le long terme tout en assurant le maintien des écosystèmes et la bonne santé des océans.

Surexploitation et pertes économiques

Pour le néophyte, parfois même pour le décideur, l’amélioration de la gouvernance des pêches dans le Sud-Ouest de l’océan Indien peut pourtant sembler secondaire. Erreur ! Les chiffres en donnent un aperçu : dans notre zone, 33% des ressources halieutiques seraient exploitées à un niveau biologiquement non durable[1].
En termes financiers, ces niveaux d’exploitation génèrent des pertes économiques considérables[2] ! Et à cela s’ajoute le coût écologique et économique de la pêche illicite, non réglementée, non déclarée (pêche INN) soit une perte estimée de 1 milliard de dollars par an en valeur ajoutée[3].
Alors même que les Etats insulaires et côtiers du Sud-Ouest de l’océan Indien hissent l’économie bleue au rang de leur priorité, il faut à l’évidence relever les défis d’un secteur qui fait vivre directement des millions de nos concitoyens. Et ces défis sont multiples : gouvernance, gestion, transparence, normes et contrôles…

Un enjeu de développement

Il est donc à la fois important et urgent d’agir parce qu’il est question d’équilibres écologiques, de durabilité de filières et des ressources liées, d’emplois, de subsistance, de sécurité alimentaire, de croissance. En un mot, il est question de développement.
C’est dans ce sens que la Commission de l’océan Indien (COI), la Commission des pêches du Sud-Ouest de l’océan Indien (CPSOOI) et la Banque mondiale se sont engagées depuis 2015 à travers le programme régional SWIOFish[1]. Parce que le secteur des pêches recoupe bien d’autres pans de nos sociétés et de nos économies, il est apparu important de répondre aux défis de la gouvernance des pêches et de la gestion des ressources à l’échelle régionale.
Le projet SWIOFish 1, d’un montant de 5 millions de dollars, visait ainsi à soutenir la CPSOOI et ses 12 pays membres[2] dans une dynamique de renforcement de la coordination et de la coopération régionale pour la gestion et le développement des pêches dans le Sud-Ouest de l’océan Indien.

Une gouvernance régionale renforcée

Au cours des six dernières années, les résultats visés ont été globalement atteints et ce, malgré le ralentissement des activités imposé par la pandémie de Covid-19 :

  • Les directives pour les termes et conditions minimales régulant l’accès pour les pêcheries étrangères ont été approuvées par tous les membres de la CPSOOI ;
  • Le nombre d’accords et de protocoles bilatéraux et multilatéraux a dépassé de loin les résultats attendus soit un total de 24 accords et protocoles contre 6 visés ;
  • 875 bénéficiaires directs du projet dont 22% de femmes ;
  • Des mesures innovantes de suivi et de réglementation des pêches ont été promues et soutenues, comme le Standard FiTI pour la transparence dans le secteur des pêches (accessibilité et disponibilité des données, suivi, etc.) ;
  • Des collaborations avec les initiatives régionales de surveillance, contrôle et suivi des pêches ont été conduites, notamment avec le Plan régional de surveillance des pêches de la COI soutenu par l’Union européenne ;
  • Le programme régional d’observation des pêches soutenu par SWIOFish 1 s’est distingué à l’échelle internationale en obtenant le premier prix de la Conférence internationale sur l’observation et le suivi des Pêches de Vigo (Espagne) en 2018.

En outre, le soutien apporté à la SWIOFC a permis à plusieurs pays membres de soumettre des propositions communes de résolutions à la CTOI, en plus de rechercher une position commune sur les principales espèces de thon dans les négociations en cours sur les quotas au sein du Comité technique pour les critères d’allocation. Plus généralement, le soutien apporté à la CPSOOI tout au long du projet a permis de renforcer la structure, d’approfondir la collaboration des parties et de permettre aux responsables des pêches, aux techniciens et décideurs de se rencontrer régulièrement dans le but d’améliorer la gouvernance régionale des pêches.

Socle d’un océan durable

Ces actions pour la gouvernance fournissent un socle indispensable au développement du secteur et à l’encadrement des pêches selon une approche de durabilité, de responsabilité et de transparence. Et c’est d’autant plus important que les ressources halieutiques sont par nature des ressources partagées.
Cette action de la Banque mondiale, de la CPSOOI et de la COI participe donc à la consolidation d’un des piliers socioéconomiques de la région en tenant compte des autres initiatives en cours. La pérennité de la CPSOOI, et d’un mécanisme financier le supportant, est une priorité politique et stratégique pour la gouvernance et la bonne gestion des filières régionales des pêches. Les discussions ont avancé mais il faut parvenir à un accord ferme pour asseoir la gouvernance du secteur.
C’est cette approche collective, en synergies, qui permettra à nos Etats et communautés de donner du corps à l’Objectif 14 de développement durable pour un océan géré durablement.

 

[1] FAO « La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2020. La durabilité en action. », Rome, 2020, page 57. Il est ici fait référence aux données de 2017.
[2] Les pertes économiques liées à la surexploitation ou à l’exploitation au maximum du potentiel biologique des stocks halieutiques étaient estimées, déjà en 2008, à 225 millions de dollars !
[3] FAO, 2017
[4] Le programme SWIOFish est financé par la Banque mondiale pour un montant total de 219,7 millions $ dont près de 60 millions $ en subventions. Il se décline en trois cycles de projets avec des composantes régionales et/ou nationales : SWIOFish1 régional (5 millions $) qui traite de la gouvernance des pêches au niveau régional complété de deux projets nationaux pour les Comores (9,5 millions $) et le Mozambique (18,3 millions $) ; SWIOFish2 régional (9 millions $) qui promeut une économie bleue et circulaire dans les pays insulaires d’Afrique, soutient la Fédération des pêcheurs artisans de l’océan Indien et la Commission des thons de l’océan Indien ; SWIOFish 2 national pour Madagascar disposant d’une ligne de crédit de 65 millions $ ; SWIOFish3 (25 millions $) qui appuie les Seychelles dans la mise en place de mécanisme innovants en faveur de l’économie bleue ; SWIOFish4 (18 millions $) avec un projet de développement durable des ressources halieutiques aux Maldives.
[5] Afrique du Sud, Comores, France, Kenya, Madagascar, Maldives, Maurice, Mozambique, Seychelles, Somalie, Tanzanie, Yémen.