Photo : T. Vignaud

Plusieurs dizaines de millions de requins sont éliminés chaque année, mettant ainsi en péril tout l’écosystème marin. Ici, une arrivée de pêche aux Émirats arabes unis (photo : Thomas Vignaud) en 2011 – depuis, la situation à cet endroit a évolué, mais certains pays, y compris en Europe, continuent le massacre, voir ici.

 

Thomas Vignaud est un scientifique-explorateur-entrepreneur.

Docteur en biologie marine diplômé de l’École Pratique des Hautes Études, ses activités incluent un travail de scientifique sur les requins et les écosystèmes marins, la conservation et la reconstruction des récifs coralliens, la valorisation des richesses naturelles et de développement de solutions innovantes pour un futur durable. Il travaille avec des organismes tel que le Criobe*, Blue finance**, des sociétés privées ou des services publics souhaitant innover dans la gestion de la Nature ou de l’économie bleue. Un de ses projets, Shark Serenity, se base sur une accumulation de connaissances et d’expériences, comme le développement d’un projet éco touristique aux Fidji sur les grands requins. Sur la photo, Thomas forme un plongeur fidjien, « Sai », à l’identification individuelle des requins bouledogues pour approvisionner les bases de données scientifiques (© Steve De Neef).

 

Photo: Thomas Vignaud

Le shark feeding (nourrissage de requins) peut être un outil précieux à la préservation des requins. À condition que le site et la pratique soit élaborés, mis en place et encadrés par de vrais spécialistes, suivant un ensemble de protocoles et de règles précises, et à l’écoute des comportements des animaux et des circonstances locales.

Le tourisme requin attire de nombreux touristes et journalistes, chaines de télé, etc.

Shark Serenity: Comment approcher les grands requins en toute sérénité? Le constat est simple : le requin est le loup d’aujourd’hui !

Hier le canidé fut victime de la folie des hommes qui, poussés par la peur du Diable, ont éliminé le sublime animal avant d’essayer de le réintroduire dans son milieu naturel un siècle plus tard… débiles que nous sommes !

« Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes, Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes ! » – La Mort du loup, poème d’Alfred de Vigny – 1843 (extraits)

Le poème d’Alfred de Vigny n’aura donc pas servi de leçon et les massacres continuent sur terres et océans. Pourtant si sur terre, les quelques rares ilots de protection (réserves intégrales, safaris et autres zoos géants) nourrissent l’espoir de conserver des reproducteurs qui pourraient un jour être réintroduits dans leurs milieux naturels (s’ils existent encore), sous les océans c’est une autre histoire. Un grand requin ne se domestique pas et ne s’observe pas à travers un bocal aussi grand soit-il !

Aussi avant qu’il ne soit trop tard, quelques spécialistes (encore trop rares) proposent des solutions pour réconcilier l’homme avec les grands requins à travers des modèles mêlant à la fois respect des écosystèmes, rentabilité économique et paix sociale. En bref le triptyque du développement durable.

C’est l’exemple du projet Serenity développé par le docteur Thomas Vignaud, spécialiste des grands requins : « Les écosystèmes du monde entier souffrent du développement humain. Pourtant, ce sont ces mêmes écosystèmes qui sont le socle de la vie humaine : nous coulons notre propre et unique bateau. Aujourd’hui, nous savons qu’il est possible de restreindre ces impacts, de restaurer et d’accompagner les écosystèmes, sans perdre en qualité de vie.

Ces solutions prennent naissance tous les jours, particulièrement en ces temps de crise propices à l’innovation de rupture. Les résultats de la recherche peuvent apporter des outils formidables à intégrer dans tous les aspects de la vie, mais il arrive parfois que la science manque d’outils, de données ou simplement de temps pour répondre à des besoins urgents. Dans ce cas, l’intégration de la recherche couplée à l’expérience et à l’innovation permet de lancement de projets qui peuvent conduire à des résultats étonnants car leur raison d’être est le résultat mesurable appelé aussi la recherche/action.

Le projet Serenity se base sur des années d’expérience et les meilleurs résultats scientifiques disponibles. Nos valeurs ? Travailler avec les autorités, les privés et la population, et s’adapter aux circonstances locales. En équipe, nous intégrons tous les aspects pour créer un plan et un programme qui permet à tous, y compris la Nature, de grandir en harmonie ».

Le shark-feeding c’est à la fois le respect des écosystèmes, la rentabilité économique et la paix sociale, soit la définition du développement durable.

En proposant ce schéma, le projet Serenity colle parfaitement au schéma du développement durable qui se heurte malheureusement aux réactions épidermiques et vengeresses qui sont constatées après chaque attaque de requins : les requins d’Australie, de Nouvelle Calédonie ou de la Réunion sont actuellement massacrés en toute impunité.
Pire encore, ces programmes sont financés en totalité par l’argent public (vos impôts !) et en plus d’être barbares, rien ne prouve que ces pratiques sont efficaces.

Sur ce sujet, il est important de prendre en compte TOUTES les pièces du puzzle et d’élaborer des plans qui intègrent ces aspects dans des solutions globales.

Les expériences réussies sur des projets de shark feeding permettent de constater que les meilleurs résultats sont obtenus en travaillant vers des solutions à l’échelle locale, étape par étape, et que la somme des projets positifs locaux résonne ensuite à l’échelle mondiale.

Voilà pour la théorie, quant à la pratique, Thomas Vignaud explique comment fonctionne Serenity : « En bref, il s’agit d’identifier un site propice au nourrissage des requins en évitant les conflits avec les usagers de la mer. Le site sous-marin doit être savamment choisi par les experts selon de nombreux critères, est aménagé et les requins attirés sur place. Leur nourrissage permet alors de les concentrer à cet endroit précis, de façon temporaire et sans impacts sur leur santé ou leur écologie, pour le bonheur des plongeurs, des chercheurs et de l’économie locale. Rappelons ici qu’un requin vivant peut rapporter des dizaines de milliers de dollars par an sur un site de shark-feeding (contre quelques dizaines de dollars à peine pour la vente de ses ailerons). Leur observation quotidienne permet de les étudier, mieux les connaitre et même de réduire le risque de morsure dans la région en influençant la façon dont ils interagissent avec l’Homme ». Même si, faut-il rappeler ici, le risque zéro n’existe jamais quand on choisit de fréquenter un milieu sauvage comme l’océan.

Thomas rajoute : « Les dernières recherches montrent que la grande variabilité des personnalités des grands requins, comme les requins bouledogues, donne parfois naissance à l’émergence d’individus à problème (voir le travail du Pr. Eric Clua). Les caractéristiques spécifiques de ces individus à problème font qu’ils sont beaucoup plus dangereux que les autres – on observe d’ailleurs dans l’histoire des agglomérats de morsures de prédations dans le temps et l’espace qui suggère le fait d’un seul individu – cela est parfois avéré, comme la terrible histoire du New Jersey en juillet 1916 qui a inspiré le film de science-fiction « Les Dents de la Mer », et bien d’autres. Nous commençons également à avoir des preuves directes avec les individus à problèmes vivants identifiés.

* Le CRIOBE (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement) créé en 1971, est l’un des plus éminents laboratoires français pour l’étude des écosystèmes coralliens. Ses activités s’exercent à travers de multiples disciplines – l’écologie, la génétique, la chimie – sur deux sites géographiques principaux, le campus de l’Université de Perpignan en France et la station de terrain sur l’île de Moorea en Polynésie Française.

** Blue finance est une association à but non lucratif ayant pour mission le développement durable de l’économie bleue dans les écosystèmes coralliens. Elle se spécialise en particulier dans le développement d’initiatives et solutions économiques bénéficiant la gestion des aires marines protégées.

Les différents bénéfices du projet Shark Serenity

La lecture de ce tableau permet de comprendre rapidement comment ce système peut fonctionner et surtout comment il peut être dupliqué partout où le trio requin-touriste-acteur local peut se retrouver pour une approche dans un esprit gagnant-gagnant.

C’est le cas de nombreuses îles de l’Indianocéanie où le docteur Vignaud a déjà identifié des sites où ces solutions peuvent-être implémentées. Reste à convaincre les autorités, et là c’est une autre histoire – la peur de l’inconnu l’emporte sur le courage politique. Schopenhauer découvrit ce principe : « toutes les vérités passent par trois phases : elles sont d’abord tournées en ridicule, puis elles sont violemment opposée. Enfin, elles sont acceptées comme évidentes. », et Victor Hugo de rappeler « rien n’est plus puissant qu’une idée dont le moment est venu ».
La Nature, elle, a déjà compris l’intérêt d’un tel projet