Richard RANDRIAMANDRATO a été nommé ministre des Affaires étrangères de Madagascar en mars dernier. Cette nomination a fait de lui le nouveau président du Conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien (COI). Madagascar a en effet pris la présidence de l’organisation à l’issue du 36e Conseil des ministres le 23 février 2022. Il répond ici à nos questions en exclusivité.

Le Journal des Archipels : Madagascar a pris le flambeau de la présidence du Conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien (COI) à la suite de la France. Quelles sont vos priorités ?

Richard RANDRIAMANDRATO : Les priorités de la présidence malgache de la COI s’inscrivent dans un environnement en évolution et qui fait face à de nombreux défis. Je suis dans la continuité de ce qui a été présenté au Conseil des ministres par mes prédécesseurs. Ces priorités sont en phase avec la politique globale du gouvernement malgache.
La première concerne la lutte contre la criminalité transnationale organisée. Nous devons regarder les choses en face : des réseaux criminels, de prédation et de déstabilisation sont présents dans la région. A ce titre, l’architecture régionale de sécurité maritime, mise en place dans le cadre du programme MASE financé par l’Union européenne, requiert pour la présidence malgache de la COI une attention particulière. Il nous faut viser sa pleine opérationnalisation. Je souligne ici la contribution significative de Madagascar qui abrite le Centre régional de fusion de l’information maritime, l’un des deux centres régionaux.
Le renforcement de cette architecture devra passer par la mise en place d’un cadre et d’instruments juridiques adéquats et solides pour la prévention et la répression des crimes.

JDA : Le deuxième axe prioritaire concerne la sécurité alimentaire, c’est bien cela ?
RR :
Tout à fait. Cette priorité est un écho à celle de notre présidence précédente (2014 – 2016, ndlr) qui avait vu la mise en place du Programme régional de sécurité alimentaire et nutritionnelle accompagné par la FAO et le FIDA. Nous pouvons nous satisfaire de la création de cadres de référence, dont la plateforme d’information sur les opportunités d’affaires et de la conduite d’études, notamment sur l’harmonisation des normes phytosanitaires ou les systèmes de certification. Mais il faut aller plus loin et plus vite. Madagascar entend ainsi soutenir le Secrétariat général de la COI dans la mobilisation des acteurs nationaux de nos Etats membres pour monter des projets structurants. Nous souhaitons mieux impliquer le secteur public et les opérateurs économiques de nos îles pour atteindre l’autonomie alimentaire de la région. Nous sommes encore trop dépendants. Pourtant, le potentiel existe et la pandémie a montré qu’une approche régionale de la production agroalimentaire et des échanges commerciaux a bien tout son sens. Cette action de sécurité alimentaire peut être un catalyseur de l’accroissement des échanges commerciaux entre nos Etats membres. En parallèle, nous devrons améliorer la connectivité ; c’est essentiel. Tout cela peut participer concrètement à la relance économique régionale.

JDA : Votre parcours fait de vous un professionnel des enjeux de l’intégration régionale. Quelle est, selon vous, la valeur-ajoutée de la COI comparativement aux autres blocs régionaux auxquels adhèrent nos Etats membres (COMESA, SADC, IORA) ?

RR : La particularité de la COI tient à la géographie, à l’histoire et au politique. Elle est la seule organisation insulaire d’Afrique. Elle lie nos îles qui ont en commun des pans de leur histoire, qui forment un espace francophone et surtout qui ont la volonté de coopérer. C’est ce qui est rappelé dans l’Accord de Victoria révisé : une solidarité agissante, une volonté politique de coopération, des défis partagés et la conscience d’un destin commun.
La COI porte donc une voix particulière : c’est la voix d’îles de l’espace africain qui ont des besoins spécifiques et qui font face souvent plus durement aux chocs extérieurs et aux crises ; surtout la crise climatique.
Et puis la COI est une organisation de coopération. Elle est dans l’action à travers des projets variés qui répondent aux besoins communs de ses Etats membres. Son action est complémentaire de l’intégration économique régionale portée au niveau du COMESA ou de la SADC.

JDA : Quelles seraient vos attentes particulières vis-à-vis de la COI ?

RR : Notre souhait est qu’elle demeure une organisation de proximité ayant vocation à mobiliser les acteurs nationaux et les partenaires autour des thématiques qui nous sont propres. L
Comme par exemple, la protection de la biodiversité terrestre et marine ; c’est un défi important. Notre région est un point chaud de la biodiversité mondiale. Il faut la protéger et mieux la gérer ! Notre biodiversité est un capital naturel qui participe à la sécurité alimentaire, climatique, environnementale, sanitaire… et elle participe à la croissance !
Je pense aussi à l’économie bleue qui est pleine de promesses pour nos îles ou encore à la connectivité qui est un chantier structurant pour nos économies qu’il faut mieux relier entre elles et aussi avec les grands marchés internationaux.
Et bien sûr, je ne peux pas oublier la santé. La pandémie a montré son importance vitale pour le développement socioéconomique. Je tiens à dire que nous pouvons être fiers de l’action de la COI qui fait montre d’une expertise reconnue au niveau continental à travers son réseau SEGA – One Health. Je souhaite au passage remercier l’Agence française de développement et l’Union européenne pour leurs appuis à nos projets en santé, et aussi féliciter nos techniciens de l’unité de veille sanitaire à la COI et les membres du réseau SEGA – One Health dans nos pays.

Le ministère des Affaires étrangères a un rôle de « locomotive du développement ».

JDA : La COI est engagée dans un mouvement de modernisation institutionnelle et fonctionnelle. Comment la présidence malgache envisage d’accompagner cette transformation 40 ans après la Déclaration de Port-Louis qui a créé la COI en décembre 1982 ?

RR : La retraite ministérielle d’août 2019 à Moroni a marqué un tournant pour notre organisation. Elle a ouvert la voie à la révision de notre texte fondateur, l’Accord de Victoria de 1984. La version révisée et adoptée en 2020 recadre les missions de la COI pour qu’elle soit en mesure de mieux appréhender les enjeux immédiats et futurs, notamment géopolitiques, climatiques ou encore sécuritaires.
Les changements apportés, comme l’institutionnalisation du Sommet des chefs d’Etats et de gouvernement et des conférences ministérielles sectorielles ou encore les réformes internes, visent à doter la COI d’une structure plus efficiente.
Forcément, la présidence malgache de la COI apportera les appuis nécessaires à la finalisation des réformes en cours à l’instar des présidences précédentes. Je souhaite aussi que nous approfondissions notre relation avec les membres observateurs au sein d’une plateforme d’échanges qui permette de diversifier nos partenariats et élargir l’assiette de nos soutiens.
En parallèle, il y a l’impulsion stratégique à donner. Notre présidence portera ainsi une attention particulière à l’élaboration du nouveau Plan de développement stratégique de l’organisation. Ce document, co-construit avec les Etats membres, devrait voir le jour d’ici la fin de notre présidence. Il fixera le cap stratégique de l’organisation, identifiera les axes prioritaires d’intervention ainsi que les ressources nécessaires à la mise en œuvre des actions.

JDA : Vous avez pris la tête de la diplomatie malgache en mars dernier après avoir occupé les fonctions de ministre de l’Economie et des Finances. Est-ce le signe d’une priorité donnée à la diplomatie économique et commerciale ?
RR :
Ma nomination s’inscrit dans la continuité et le raffermissement de ce qui a été entrepris par mes prédécesseurs. L’animation d’une diplomatie économique offensive et proactive est au cœur des missions de mon ministère à travers lequel Madagascar assure sa présence effective sur la scène internationale.
Vous savez, la diplomatie malgache joue un rôle qui dépasse la promotion et l’attractivité du pays. Notre appareil diplomatique est au service de la politique générale de l’Etat. En cela, il traite autant du commerce et de l’économie que de la paix et la sécurité, du climat et de la conservation des ressources naturelles, ou encore de l’accès à l’énergie, à la santé ou à l’éducation. Toutes ces thématiques irriguent notre action politique – comme on le voit d’ailleurs au sein de la COI.
Le ministère des Affaires étrangères a un rôle de « locomotive du développement ». Nous appuyons les autres départements ministériels en mobilisant les partenaires pour accompagner et soutenir les initiatives et projets de développement de Madagascar.

Un « océan Indien zone de paix »

JDA : Entre les grands frères chinois et Indiens, les amis français et américains : comment positionner nos îles de l’océan Indien dans cet échiquier dont les pions sont en train de bouger aujourd’hui ?

RR : Il y a d’abord deux principes clés : l’indépendance et la souveraineté. Chacun de nos Etats a la prérogative de définir souverainement sa politique extérieure. C’est ce que fait Madagascar.
Bien entendu, nous suivons de près les jeux d’influence et les alliances géostratégiques qui s’opèrent dans la région. Ils renvoient à des enjeux économiques et commerciaux, de sécurité, de défense, de connectivité ou encore d’énergie que nous mesurons. Ce contexte de rivalités est générateur de nouvelles tensions et menaces qui sont communément partagées.
Pour sa part, Madagascar demeure attachée au principe d’un « océan Indien zone de paix ». C’est un principe vieux d’un demi-siècle qui, selon nous, est toujours d’actualité parce qu’il ambitionne de faire régner la paix et la stabilité dans la région et de s’extraire de toute rivalité bipolaire.
Sur le plan politique et sécuritaire, la dépendance unilatérale n’est pas une option.
La COI gagnerait, par ailleurs, à se focaliser davantage sur l’établissement et la préservation d’un espace régional de stabilité et de prospérité, ouvert et régi par le libre-échange et la liberté de navigation. C’est stratégique ! Notre région fait partie intégrante de ce continuum indo-pacifique qui accueille les principales autoroutes maritimes mondiales ainsi que des poids lourds économiques et démographiques. L’un des moyens pour tirer notre épingle du jeu serait d’attirer des projets d’infrastructures d’envergure qui contribueraient à soutenir la croissance de nos îles en les reliant aux flux mondialisés.

JDA : Le conflit en Ukraine dans un contexte post-pandémique qui se dessine graduellement crée de nouvelles tensions. Quelles solutions ou mesures d’atténuation peuvent apporter la coopération régionale et l’intégration ? 

RR : Les premiers impacts se font sentir. Les approvisionnements en énergies et en produits alimentaires, surtout le blé, posent des problèmes partout dans le monde. Les conséquences économiques et commerciales de cette guerre exacerbent les difficultés économiques engendrées par la pandémie de Covid-19 d’autant que nous n’en étions qu’aux débuts du rebond.
Que faire alors ? Eh bien, il faut coopérer et repenser les modèles et chaînes de valeurs sur d’autres échelles. Je parlais plus tôt du potentiel de production agroalimentaire dans la région. Nous devons collectivement y travailler pour augmenter la productivité et la production, pour assurer les équilibres nutritionnels, et pour échanger des denrées agroalimentaires. C’est un impératif de sécurité alimentaire et nutritionnelle de long terme. Mais c’est aussi une opportunité de croissance régionale partagée.
Il nous faut penser global mais agir local. Autrement dit, nous devons avoir conscience des aléas externes et développer des réponses communes, à l’échelle de notre région. Bien sûr, il faut un engagement politique fort. Celui de Madagascar est acquis. En complément, il faut l’implication du secteur privé. Les bénéfices que nous pouvons en tirer collectivement sont considérables : l’investissement dans la sécurité alimentaire peut non seulement atténuer les effets importés d’une crise mais aussi participer à la relance économique.